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Pensées verticales

12 mars 2008

#1

Il ne lui avait jamais promis de l'aimer toujours; il l'avait fait.

Elle s'appelait Angélique et d'emblée il l'avait prise en grippe parce qu'elle était la fille du nouveau garagiste du  petit bourg dans lequel il coulait une enfance tranquille. Or, le fils de l'ancien mécanicien, lequel était parti sous d'autres cieux réparer d'autres incidents de parcours, était un de ses grands copains et cela ne l'amusait pas du tout d'avoir ainsi perdu un partenaire de jeu de billes qui avait l'avantage d'être mauvais et de ne jamais se décourager. Si bien que sa réserve de calot, d'agate et autres billes de terre, amoureusement conservée dans un vieux baril de lessive, avait pris un volume aussi conséquent que bruyant. Surtout, il avait gagné un poids respectable de billes d'acier, en fait d'anciens roulements usagés que le père de son copain donnait à celui-ci sans limite.


Ce temps était révolu.


L'atelier de mécanique se trouvait à peu près en face de chez lui, et jetant parfois un oeil noir de l'autre coté de la rue, apercevant à l'occasion sa nouvelle voisine qu'il n'inviterait jamais à jouer , promis juré ! - il s'amusait seul à provoquer des gigantesques carambolages de Majorettes, au milieu de la cour, dans des chemins imaginaires et extrêmement dangereux.


Longtemps, il ne se passa rien.


La rentrée de septembre au primaire Sainte-marie était arrivée, et l'année se déroula doucement. Angélique était, elle, scolarisée dans l'école publique de la petite ville et ils n'avaient donc pas l'occasion de se retrouver. De toute façon, il en reluquait déjà d'autres: Stéphanie, une petite brune au carré avec des yeux bleus d'acier, qui était la fille du gros industriel local de transports routiers, lequel possédait des dizaines de camions-remorques et ça, c'était trop impressionnant ... Stéphanie était admirée par tout le monde, ses petits camarades, le directeur et même son père lui en parlait avec une certaine gourmandise. Toutefois son air froid lui laissait l'opportunité de s'intéresser aussi à Carine qui acceptait déjà de rouler des pelles à ceux qui lui demandaient... Elle était un peu bête mais il fallait bien essayer.


Après des vacances familiales dans une petite maison de vacances à s'exploser les genoux dans les gravillons suite à de multiples chutes de vélo et à construire des cabanes avec les fils d'agriculteurs des environs, vint le moment de l'entrée en sixième. L'évènement était considérable. Non pas que l'enjeu de la découverte du collège lui faisait peur, mais les cours de français avait ceci de particulier qu'ils allaient être dispensés par la professeur principale qui avait la caractéristique intéressante d'être aussi sa mère.


Au début, il sous-estima Angélique. Très réservée, elle n'impressionnait personne au contraire de Lorraine - quel prénom débile ! - qui avait la grande qualité de faire deux têtes de plus que lui et aussi la capacité réelle, deux ou trois fois démontrées par les actes d'ailleurs, de lui coller des peignées mémorables sur la cours de récréation. A cause d'elle, il avait pris des punitions pour la première fois de sa vie, mais par une sombre alchimie, lui et Lorraine était les meilleurs copains du  Monde. Elle le défendait à la moindre occasion, et en quelque sorte, allié de la chef de meute, il en ressentait une certaine fierté.


Mais, la carrure ou les beaux yeux des filles n'étaient pas tout. Très vite, la hiérarchie des têtes de classe devint l'enjeu primordial. Et la possibilité de l'affront d'une mère contrainte et forcée d'accorder de meilleures notes en rédaction à Angélique apparut comme un risque majeur.


L'orthographe et la conjugaison, il s'en foutait... Il s'agissait de matières mineures étudiées pour les paysans, les bouseux afin de leur permettre de rattraper les mauvais. Il en était persuadé puisque sa mère le disait, à la maison. L'épreuve reine, restait la rédaction. Or, ils n'étaient pas nombreux dans ce petit collège mi-urbain, mi-rural à prétendre pouvoir présenter de très bonnes copies dans ce domaine. Deux ou trois filles, et bien sûr, lui. Un petit cercle restreint sur lequel il était évident qu'il allait régner en maître, aidé en cela bien évidemment par une mère compréhensive et complice.


Le premier rendu de copies fut toutefois passablement inquiétant. A lui la meilleure note, bien sûr et l'affichage d'une domination assumée et admise par tout le monde. 16 sur 20 en rédaction, ça impose. Les autres étaient loin derrière, à distance presque réglementaire.


Sauf une. A peine un demi point de moins. Assis  à sa droite, à deux chaises d'écart, il la regarda un long moment, à la dérobée. Il en conclut que c'était de la chance, qu'elle ne tiendrait pas la durée. Il osa même un mot de félicitation ce qui la laissa complètement interdite... Il marquait son territoire et elle ne comprenait pas cette réaction.


La deuxième rédaction fut fatale: Angélique avait 15, lui 14. Second, battu et donc déchu. C'était totalement injuste et à la récréation, il fut puni pour avoir tiré les cheveux d'un grand qui rigolait.


Au cours d'après, il se passa quelque chose d'étrange. Angélique vint s'excuser. Des excuses à demi-mot, voilée, mais réelles. Elle parlait d'un coup de chance, affirmait qu'elle n'était pas bonne et avouait même que sa mère l'avait aidée. Comme si lui faisait ses devoirs seul ... Elle avait un air sincèrement désolé et gêné.


De cet instant, il en tomba totalement amoureux, sans qu'il n'en fit rien paraître.

Il réussi à se rapprocher d'elle en classe et systématiquement, pour toutes les notes dans toutes les matières, ils comparaient leur copies. Angélique était une fille un peu lunaire, de celle dont la douceur confine à la lenteur. Il en était charmé. Elle avait de longs cheveux noirs un peu ondulés, des yeux clairs et une bouche un peu étrange, épaisse et qui se pinçait bizarrement. Ce défaut l'intriguait, le rendait curieux et suscitait une envie de contact qu'on aurait pu qualifier d'expérimentale...


Le plus souvent, elle riait quand elle avait de mauvaises notes, autrement dit des notes moins bonnes que les siennes et lui ne savait plus comment réagir. Inversement, elle se taisait et baissait les yeux quand le nombre en rouge sur sa copie-double était plus élevé que le sien. Il haïssait sa douceur, son humilité et sa simplicité. Tout ce qu'il n'était pas.


Il la haïssait tellement qu'elle devint à ses yeux unique et essentielle dans sa vie de collégien. Elle de son coté, simple fille du mécano d'en face, recevait cette attention excessive avec une surprise parfaitement dissimulée. Elle ressentait une fierté considérable à être ainsi l'objet de toutes les prétentions de ce fils de prof si sur de lui.


Mais trop narcissique, jamais il ne se rendit compte qu'il n'y avait aux yeux de cette si douce collégienne, plus qu'un seul ami, que les autres n'étaient que des camarades de classe, provisoires et que lui, par diktat de ce qui était encore pour eux, l'enfance, était l'élu.
Il était maladroit, exigeant, moqueur et il ne se rendait pas compte du fait qu'il était désormais toujours assis à coté d'elle, qu'elle lui pardonnait tout, qu'elle l'aidait à la moindre occasion.


Arriva un jour lors duquel Angélique tomba légèrement malade et dû manquer quelques jours d'école. Il n'en avait cure mais sa mère, aussi consciente des devoirs que l'on doit aux bonnes manières que de l'intérêt que l'on peut en retirer, soumis l'idée d'apporter à Angélique les cours qu'elle avait manqué … chez elle, donc. Entre bons camarades, cela se fait, avait-elle affirmé à son fils. Lui refusa net, puis piqua une grosse colère, et ensuite tenta de négocier tout ce qu'il avait à offrir; en pure perte. Sa mère fut doucement inflexible. Il dû se résoudre à rendre service à sa copine et il en était terrorisé. Après avoir pris ses propres cahiers, il traversa la route et comble de l'angoisse pour un amoureux qui s'ignore encore, il dû se résoudre à appuyer sur le bouton de la sonnette, à coté de cette porte close face à laquelle tout garçon doit un jour se tenir droit.


L'instant fut horrible. Il eu droit en premier lieu à l'accueil de la mère d'Angélique laquelle se montra presque aussi mal à l'aise que lui, puis au caquetages des deux mères, parce que bien évidemment, la sienne était sur ses talons. Enfin, il se trouva en présence d'une copine de classe pas du tout dans son assiette, qui visiblement goûtait peu tout ce remue-ménage et prononça à peine quelques mots polis. Sans compter que sa robe de chambre était vraiment ridicule...
Il tendit nerveusement ses cahiers, ce qui lui arracha proprement la main, tant il n'avait aucune envie de dévoiler cette chose si intime qui ne concernait que lui et sa mère.

Sans compter que son travail n'était peut-être pas aussi parfait qu'il l'aurait voulu à cet instant précis, avec cette mauvaise écriture, ces fautes d'orthographe et ces ratures partout... Il se sentit mis à nu et ridicule.


Les félicitations de sa mère ne lui furent d'aucun secours.


Angélique, remise sur pieds, lui rendit ses cahiers quelques jours plus tard en le remerciant froidement. La dureté qu'il sentit alors chez son amie acheva de le désemparer et leurs rapports devinrent plus distants. Vexé et décontenancé par le fait que la tactique maternelle ne s'était pas avérée aussi efficace qu'il aurait pu l'espérer, il resta un long moment silencieux et taciturne face à elle.


Peut-être se trouvait-il que déjà à onze ans, un orgueil féminin naissant avait compliqué les choses. Déjà, les instincts d'une femme libre se développaient chez Angélique qui ne voulait peut-être pas se laisser conquérir si facilement. Aussi, trop rustre pour comprendre les subtilités d'une maturité féminine en construction, il débordait sans aucune maîtrise de sentiments pour elle.


Il fut donc faible et revint vers elle. D'une façon idiote et bêtement masculine: par l'ironie, la moquerie et les petites agressions. Mais les choses changeaient entre eux: elle grandissait et apprenait à répondre, à provoquer, à vexer. Un rapprochement parfaitement équivoque s'opéra entre les deux enfants.


Ils tombaient éperdument amoureux l'un de l'autre. Le mois de juin arriva et avec lui la fin de cette première année de collège. Son père était promis à des fonctions plus importantes et il dû partir.


Il ne la revit pas et ne la remplaça jamais dans son cœur. Toujours, il lui resta fidèle en ne l'étant plus jamais.



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